Sénégal : Pourquoi une telle atrocité ?

Sous une lumière tamisée, ils sortent un à un. Certains n’ont même pas 18 ans. Un baluchon en main, ils avancent sans se presser, le visage aminci mais parfois éclairci d’un timide sourire, avant de tomber dans les bras des proches et sous des applaudissements nourris et les cris de joie d’une forte assistance. Nous ne sommes pas dans une quelconque cérémonie de remise de diplôme ou autre évènement festif, mais bien devant la prison centrale de Dakar.

Touts ces gens avaient été raflés par la police et la gendarmerie sénégalaises lors et après les marches de protestation organisées en soutien à Ousmane Sonko, leader du Parti Pastef, que le régime de Macky Sall voulait impérativement empêcher de candidater à la présidentielle en instrumentalisant la Justice. Durant les seules journées du jeudi 15 et vendredi 16 février 2024, plus de 300 personnes, hommes et femmes, ont recouvré la liberté après avoir été écrouées sans jugement pendant 3, 8, ou 15 mois. Mais il en reste encore des centaines dans les geôles sénégalaises de toutes les régions.

Ce que le gouvernement niait jusqu’à présent sur toutes les chaines de télévision du monde est apparu au grand jour : il y a bel et bien des prisonniers politiques au Sénégal. Et jamais dans l’histoire du pays, même au temps du parti unique sous Senghor, aucun régime n’avait arrêté autant de personnes, tout simplement parce qu’elles sont membres ou sympathisantes d’une formation politique ou pour avoir pris position par rapport à un évènement politique.

Le plus grave est que les arrestations et les conditions de détention sont en violation totale du droit international, si l’on en croit les premières interviews accordées par les ex-prisonniers aux télévisions privées et sites internet. En tout cas, aucun officiel n’est sorti pour réfuter les faits exécrables racontés. Tabassage pendant de longues heures dans les commissariats de police et casernes de gendarmerie, humiliation, refus catégorique de soins aux blessés, conditions de détentions exécrables… Et nous ne sommes pas encore au bout de l’horreur car la pudeur empêche certains détenus d’aller plus loin dans leurs récits qui ont fait pleurer nombre de Sénégalais, jusque sur les plateaux de télévision.

Le régime actuel, s’appuyant sur une gendarmerie et une police aux ordres, est allé trop loin dans sa tentative de museler les Sénégalais désireux de revendiquer leurs droits et de participer librement à la vie politique. Tous savent pertinemment qu’un citoyen mécontent de la gestion de la chose publique doit pouvoir exprimer ses griefs comme le prévoit la constitution. Sous aucun prétexte, on ne peut l’en empêcher.

Les actes commis sont suffisamment affreux pour qu’ils ne soient ni oubliés ni pardonnés. Leurs commanditaires, théoriciens, organisateurs et exécutants doivent être identifiés, jugés et lourdement sanctionnés. C’est ce que les Sénégalais attendent du prochain président de la république. Il s’agit d’un impératif et non d’une simple revendication.

A.D.N

Post-scriptum

Au moment où nous bouclons ces lignes, nous apprenons avec consternation le décès, à Paris, de Daba Diouf, épouse de Didier Badji, gendarme en service à l’Inspection Générale d’Etat (IGE), disparu depuis le 18 novembre 2022 en même temps de Fulbert Sambou, membre du renseignement militaire, dont le corps a finalement été retrouvé.
Ces deux éléments de l’armée sénégalaise étaient soupçonnés par le pouvoir de communiquer des informations sensibles à Ousmane Sonko. Aucun élément de preuve n’est venu confirmer ces allégations.
Daba a très probablement été emportée par le chagrin après s’être battue courageusement contre le mutisme des autorités sénégalaises, qui n’ont jamais voulu ouvrir une enquête sérieuse pour élucider le mystère. Elle laisse des enfants à bas âge auxquels l’Etat du Sénégal doit des réponses.