La CEDEAO sans boussole
Le 25 février 2024, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a annoncé la levée des « sanctions financières et économiques à l’encontre de la République de Guinée » ainsi que des « restrictions sur le recrutement des citoyens de la République du Mali pour des postes au sein des institutions de la Cedeao ». Ces annonces ont été faites à l’issue du sommet extraordinaire consacré à « la politique, la paix et la sécurité dans la République du Niger » et aux « récents développements dans la région ». La levée de sanctions contre la Guinée et le Mali n’avaient pas été évoquée, de même que le Burkina Faso.
Ces décisions sont un aveu d’échec après un embargo sans précédent de huit mois contre un pays membre et l’incapacité d’appliquer la décision d’aller déloger les militaires nigériens pour réinstaller le président déchu Mohamed Bazoum.
Echec économique d’abord. L’embargo n’a pas fait plier les actuels dirigeants nigériens. Certes la population nigérienne a souffert du fait du ralentissement de l’activité économique, de l’aggravation du déficit en électricité, du manque de médicaments… Mais il est évident qu’un pays comme le Bénin, jusqu’alors principale porte de sortie et d’entrée des exportations et importations négriennes en a eu pour ses frais. D’autres, à l’instar de la Côte d’Ivoire, du Togo et du Nigéria, ont aussi souffert de la fermeture des frontières, même si c’est dans une moindre mesure.
Echec stratégique ensuite. Quelle que soit la puissance militaire mobilisée, il était clair que toute intervention visant à restaurer Bazoum allait se traduire par le basculement de toute la sous-région, et bien au-delà, dans la violence totale, avec des conséquences incalculables en termes de vie humaines et de dégâts économiques et sur la stabilité à long terme. L’idée d’une opération éclair n’était que pure fiction. Les officiers le savaient mais ne voulaient pas humilier leurs chefs en les mettant en garde contre une telle aventure.
Ironie du sort, le président sénégalais, un des grands partisans de ce projet militaire, vient de signer un coup de force constitutionnel pour rester au pouvoir ou placer un de ses obligés. La mollesse des condamnations de l’organisation sous régionale est à l’antipode de l’activisme affiché contre le Niger, le Mali ou le Burkina Faso.
Echec politique enfin. Nos dirigeants ont une mauvaise lecture de l’environnement géostratégique et socio-politique qu’ils sont sensés mieux comprendre que quiconque. Contrairement à ce qu’ils pensent, la volonté des Africains de prendre en main leur destin n’est pas circonscrite aux réseaux sociaux, aux diatribes de ceux que l’on appelle « les nouveaux panafricanistes ». Le sentiment que la CDEAO, considérée comme un syndicat de chefs d’état, ne prête aucune considération à leurs aspirations est réelle et très répandue, particulièrement chez les jeunes qui représentent la majorité de la population. Ces derniers sont les premiers pourfendeurs de l’organisation qu’ils considèrent être à la solde de puissances étrangères. On peut comprendre ce sentiment, à voir la proximité, pour ne pas dire la complicité, de beaucoup de dirigeants avec certains de leurs pairs étrangers, européens notamment, qui semblent les tenir en laisse.
Aujourd’hui, les cassures sont profondes, que ça soit à l’intérieur de l’organisation ou entre celle-ci et les populations. Ce n’est pas avec la CEDEAO, telle qu’elle est structurée et gérée, que nous allons nous en sortir. En tout cas, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont opposé une fin de non-recevoir aux appels du pied lancé par les autorités de l’organisation sous régionale les invitant à renoncer à leur décision de faire bande à part au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Ces pays, forts de leur souveraineté, ne pardonnent pas à leurs « ex-partenaires » de vouloir les asphyxier au moment où ils avaient le plus besoin de leur aide. Aide qui n’avait d’ailleurs jamais été proposée pour lutter contre les terroristes qui sévissent depuis une décennie.
Ne nous voilons pas la face. La CEDEAO des chefs d’état est bien morte. Essayons de bâtir celle des peuples par la mise en avant de nos intérêts communs, du respect des règles imposables à tous et de l’équité entre tous les états membres.
A.D.N