A Diouf et Wade : Les enfants et petits-enfants de la « Jeunesse malsaine » veulent prendre leur destin en main
Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, deux anciens présidents du Sénégal, viennent de publier une déclaration commune dans laquelle ils appellent au dialogue pour la paix dans le pays. Pour ceux qui sont peu au fait des arcanes de la vie politique sénégalaise, il s’agit d’une excellente initiative à magnifier en ces temps troubles. Ils n’ont pas tort car c’est dans la paix que l’on peut bâtir une nation prospère.
Reste que cette missive n’est pas neutre, et ce pour deux raisons. La première est que c’est le parti de Wade himself, le PDS, qui veut torpiller le processus électoral en servant de bras armé à l’APR de Macky Sall, formation politique constitué pour l’essentiel de résidus du même PDS. La seconde est que Diouf a dirigé le Parti socialiste de 1981 jusqu’à sa défaite de 2000 face à Wade. Aujourd’hui, ce PS s’est dissous dans l’APR pour constituer, avec d’autres micro-formations politiques, une pseudo coalition – plutôt un groupement d’intérêt économique (GIE)-, en l’occurrence Benno Bok Yakaar dirigé par Sall. En un mot, ces deux ex-présidents ne font que prêcher pour leur chapelle.
Une lecture soigneuse de leur texte montre à qui veut comprendre qu’ils roulent clairement pour le président sortant. Que disent-ils en substance ? Ils approuvent l’idée de repousser l’élection présidentielle au 15 décembre 2024, appellent les acteurs politiques à s’assoir autour d’une table, demandent aux jeunes « de ne pas se laisser manipuler ».
Ces messieurs n’en ont cure du calendrier républicain. Ils feignent également d’ignorer qu’une négociation suppose un problème à résoudre alors que nous n’en avons pas. Notre unique souci est la personne qui veut s’accrocher au pouvoir, quitte à plonger le Sénégal dans le précipice. A propos des jeunes, ils oublient que plus personne ne dort. Ces derniers sont conscients, bien informés et connaissent parfaitement leurs aspirations.
Ceux qui arpentent les rues des villes et villages sénégalais pour revendiquer leurs droits à élire le président de leur choix ne sont autre que les enfants de la « jeunesse malsaine » que pourfendait Diouf dans les années 1980. Depuis rien n’a changé. Chômage massif, pauvreté endémique, système éducatif moribond, Santé sous perfusion, pillage des ressources naturelles et financières par les dirigeants… Ces mêmes maux, qui ont chassé ces deux missi dominici du pouvoir, sont aujourd’hui à l’origine de la déchéance de leur protégé.
Au fait, a-t-on entendu Wade et Diouf quand Sall instrumentalisait la Justice pour abattre Ousmane Sonko ? Qu’ont-ils dit sur les dizaines de jeunes assassinés, blessés gravement ou torturés par la police et la gendarmerie, juste pour avoir voulu manifester pacifiquement ? Que pensent-ils des centaines d’autres qui, voulant fuir la misère, périssent en mer, dans le Sahara ou dans la forêt amazonienne ? Dans leur missive, aucune condamnation des atrocités du régime, aucun regret, pas même une petite prière pour les défunts. Toujours aussi scandaleux : se sont-ils offusqués de la fermeture de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar depuis presque une année pour des motifs purement politiques ? De plus, Wade oublie que c’est lui-même qui exhortait la « jeunesse malsaine » à affronter la Police de Diouf.
En définitive, leur déclaration est une insulte à notre intelligence. A près de 100 ans (Wade) et 90 ans (Diouf), ces deux messieurs devaient se draper des habits de patriarche et répandre la vérité quoi qu’il leur en coûte ; ils ont déjà eu tous les privilèges. Au contraire, ils choisissent de dégrader davantage leur image. D’ailleurs, le Sénégal n’attend plus rien d’eux. Ils ont eu leur agenda, la jeunesse actuelle a la sienne et rien ne pourra la détourner de ses objectifs.
Le dialogue qu’ils souhaitent aura bel et bien lieu mais il se déroulera dans les isoloirs et par le biais des urnes. Le Sénégal a hâte de refermer les tristes pages déjà lues pour se tourner vers l’avenir. Un avenir qui appartient désormais aux enfants et petits-enfants de la « jeunesse malsaine » des années 1980.
A.D.N