Le Sénégal pris en otage par un jusqu’au-boutiste

C’est moi ou le chaos. C’est en substance le message transmis par Macky Sall aux Sénégalais lors de l’interview accordée, jeudi 22 février, à quatre médias partisans : la Radio-télévision sénégalaise (RTS), le Soleil (quotidien gouvernemental), le groupe Emedia (Iradio et Itv) financé par des conseillers à la présidence et Seneweb, site d’information acquis à sa cause. Ce casting n’est donc pas le fruit du hasard. Il fallait juste donner la forme à un contenu indigeste et très loin des attentes des Sénégalais qui ne demandaient qu’une seule chose : que l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février soit programmé au plus vite, sachant que le mandat du président expire le 2 avril comme le prévoit la Constitution. Au lieu de quoi, il a parlé de dialogue avec « toutes les forces vives » et de « loi d’amnistie » pour « apaiser l’espace public ».

Ces propositions ne sont que pures tromperies. Sall veut clairement demeurer président au-delà de son mandant -même s’il reconnait que celui-ci prend fin le 2 avril-, et protéger ses arrières au cas où son plan n’aboutirait pas.

Le premier constat s’explique par le sabotage du processus électoral et l’interprétation erronée de la constitution -en cas de vacance du pouvoir- qu’il a servie pour créer la zizanie. Le fameux article 36 qu’il invoque est pourtant clair. Il stipule que :

« Le Président de la République élu entre en fonction après la proclamation définitive son élection et l’expiration du mandat de son prédécesseur.

Le Président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation de son successeur.

Au cas où le Président de la République élu décède, se trouve définitivement empêché ou renonce au bénéfice de son élection avant son entrée en fonction, il est procédé à de nouvelles élections dans les conditions prévues à l’article 31 ».

Comme Sall ne veut absolument pas d’élections, il est évident qu’il n’aura pas de successeur (alinéa 2), et pourra ainsi rester à la tête du pays le temps qu’il voudra. En quelque sorte, il nous présente le spectacle du chat qui veut attraper sa queue.

Le second constat est que le président sortant du Sénégal sait pertinemment que son passif est très lourd. Pendant les douze années de son régime, les scandales financiers concernant sa famille et ses collaborateurs se sont multipliés. Pour ne citer que les plus médiatisées, nous relèverons la gestion opaque de l’attribution des licences de prospection et d’exploitation du gaz et du pétrole, les 750 milliards de FCFA du plan inondation, les faramineuses surfacturations dans les infrastructures (autoroutes, TER, BRT), les 29 ou 98 milliards -c’est selon les sources- du Programme national des domaines agricoles (Prodac) et les 1000 milliards du fonds Covid.

Non moins graves, il y a les odieux assassinats de jeunes manifestants pacifiques par les forces de sécurité et des nervis recrutés par le parti présidentiel, Alliance pour la République (APR), les emprisonnements arbitraires des opposants et les tortures commis dans les commissariats et casernes de gendarmerie.

Contrairement à ce qu’il veut faire croire à l’opinion publique internationale -libération des opposants-, Sall est juste désireux d’effacer tous ces crimes par une loi d’amnistie que rejette d’emblée l’écrasante majorité des Sénégalais. Les victimes et leurs familles réclament des enquêtes sérieuses et la présentation des présumés coupables devant les tribunaux.

Le dialogue qu’il organise les 26 et 27 février n’est qu’un jeu de dupes auquel refusent de participer 16 des 19 candidats retenus par le Conseil Constitutionnel et la quasi-totalité de la société civile. Une position partagée par une très large frange de la population.

Sans risque de se tromper, Sall n’aura autour de lui que SES deux candidats, en l’occurrence Amadou Ba, son premier ministre, et Mohamed Boun Abdellah Dione, un fidèle collaborateur et ex-premier ministre, ainsi que le très controversé Idrissa Seck, un pseudo opposant chef de Rewmi, un parti en état de mort clinique. Le reste de la salle sera garni par une horde de laudateurs plus intéressés par les retombées financières de leur participation que par le devenir du Sénégal.

Connu pour être un jusqu’au-boutiste, Sall essayera de forcer le destin, en comptant, si jamais la chienlit s’installe, sur le soutien des forces de sécurité et de l’armée, en particulier la gendarmerie, lourdement équipée et dirigée par un général dévoué.

Nous espérons ne pas en arriver là. Mais le mal est déjà profond. En effet, nos institutions sont dans un tel état de délabrement qu’il faudra plusieurs années pour restaurer la confiance des citoyens. Ceci à cause d’un président qui se croit indispensable et plus important que le pays qu’il a eu le privilège de diriger.

A.D.N